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University of Ottawa
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REVUE ENCYCLOPÉDIQUE
PABIS.— D» L'IMPRXMBBW 1>R KIGKOUX, me de* Vrancs-BonrgcoivS.-Michcl, r»« 8.
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{'. I BERTHOÏ/ff^l
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE,
OU
ANALYSE RAISONNÉE
DES PRODUCTIONS LES PLUS REMARQUABLES
DANS LES SCIENCES, LES ARTS INDUSTRIELS, LA LITTÉRATURE
ET LES beaux-arts; PAR UNE RÉUNION
DE MEMBRES DE L'INSTITUT,
ET D'AUTRES HOMMES DE LETTRES.
TOME XXX.
PARIS,
AU BUREAU CENTRAL DE LA REVUE ENCYCLOPÉDIQUE, rue d'enfer -saint-michrl, n° 18.
AVRTL I 826.
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« Toutes les sciences sont les rameaux d'une même tige. »
Bacon.
« L'art n'est autre chose que le contrôle et le registre des meilleures produc- tions.. . A contrôler les productions (et les actions) d'un chacun, il s'eugeudre envie des bonnes, et mépris des mauvaises. »
Montaigne.
« Les belles- lettres et les sciences, bien étudiées et bien comprises, sont des instrumens universels de raison, de vertu, de bonheur. »
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE,
ou
ANALYSES ET ANNONCES RA1SONNÉES
DES PRODUCTIONS LES PLUS REMARQUABLES DAJTS LA LITTÉRATURE, LES SCIENCES ET LES ARTS*
I. MÉMOIRES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES.
SUR LES NOUVELLES TRADUCTIONS
DE
L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST (i).
Lorsque je publiai, en 1812, ma Dissertation sur soixante traductions françaises de V Imitation de J. C. , suivie de considérations sur Fauteur de Vlmitation , par
(i) Cette Notice, qui nous a été remise depuis plus d'une année par notre savant collaborateur, feu M. Byrbier , et dont il était venu nous recommander la prochaine insertion, peu de teins avant sa mort , est le dernier tribut que son érudition profonde et son zèle éclairé auront déposé dans ce recueil, où nous aurons plus d'une fois à regretter sa précieuse coopération. En attendant qu'une notice étendue sur sa vie et ses ouvrages acquitte la dette de tous les amis des lettres et notre dette d'amitié envers sa mémoire, nous saisissons 1 occasion de faire une chose à laquelle il attachait beaucoup de prix
6 NOUVELLES TRADUCTIONS
M. J.-B.-M. Gence (i), mon but était de ramener l'at* tention des savans sur le modeste auteur d'un ouvrage universellement admiré et universellement lu, et en même tems de prouver que, malgré la multitude des traductions de cet ouvrage, publiées en français, il n'en existait pas une qui rendît le véritable texte de l'auteur. Il était donc à désirer de voir la littérature sacrée enri- chie, d'abord d'une nouvelle édition du texte de Y Imi- tation, revu sur les meilleures éditions et sur les meil- leurs manuscrits; puis, d'une nouvelle traduction faite d'après le texte ainsi amélioré.
Depuis douze ans, il a paru cinq ou six éditions nouvelles du texte latin de X Imitation; mais aucune n'a été faite avec le soin convenable. Les libraires se sont contentés de reproduire le premier texte qui leur est tombé sous la main. Quant aux traductions françaises, cinq nouvelles ont été publiées , savoir : une en prose, Dijon, 1816, in- 12, par un anonyme que l'on sait être le président Joly de Bevy, alors âgé d'environ 80 ans. Cette traduction se ressent du grand âge de l'auteur ; elle a cependant eu les honneurs d'une seconde édition, en 1821 , in-8°.
La seconde traduction par un autre anonyme, (Paris, 1818. — in-8°, Renouard ) , est en vers. Ce nouvel ano-
en publiant son opinion sur les différentes traductions de l'ouvrage le plus éminemment recommandable par les sentimens de morale religieuse et de piété sincère qui l'ont inspiré. Nous croyons pouvoir en même tems exprimer le vccu qu'un extrait de cet excellent ou- vrage, mis à la portée des esprits les moins cultivés, soit public sous les auspices et par les soins de la Société de la Morale chiétienne qui a déjà rendu des services importans à l'instruction religieuse et populaire par des publications du même génie. M. A. .T.
(1) Paris: Boisle (ils. in-12; prix, 3 fr.
DE L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST. 7
nyme, M. l'abbé de Boisville , ancien vicaire-général de Rouen, aujourd'hui évêque de Dijon, me blâmera-t-il de révéler ici son nom ? On doit reprocher aux rédac- teurs de nos journaux le silence qu'ils ont gardé sur cette élégante traduction, précédée d'un discours préli- minaire , qui est un excellent morceau de littérature.
Deux traductions en prose ont paru, en 1820. La première est intitulée : De U Imitation de Jésus-Christ , traduction nouvelle faite d'après une édition latine, revue sur les textes les plus authentiques, et principa- lement sur le plus ancien manuscrit de l'Imitation , en quatre livres , inédit, et conservé à la Bibliothèque du Roi; par J.-B.-M. Gence. Paris, 1820. Treuttel et Wùrtz, in- 12 et in- 18.
La seconde a pour titre : L'imitation de Jésus-Christ , traduction nouvelle par E. Genoude ; augmentée d'une préface et de réflexions à la fin de chaque chapitre , par M. l'abbé F, de La Mennais. Paris, 1820. Nicolle.
in-24.
On voit que la traduction de M. Gence fait espérer un travail neuf, et tel qu'on devait l'attendre d'un homme aussi distingué. La lecture de cette traduction confirme les espérances que donne son titre , elle est irréprochable, sous le rapport de l'exactitude ; et le style a toute la clarté et toute l'élégance que comporte le sujet. Il est simple ou sublime, suivant que l'auteur entre dans les plus petits détails, ou s'élève aux plus hautes considérations.
La traduction de M. Genoude a excité de vives réclamations , au moment où elle parut. Un savant doc- teur en théologie a fait remarquer que ce n'était, pour ainsi dire, qu'une réimpression de celle du P. Lalle- niant, jésuite. Les corrections qu'elle présente sont en
8 NOUVELLES TRADUCTIONS
général de mauvais goût. Malgré ses défauts, elle a été beaucoup plus vantée que celle de M. Gence ; elle a donc eu auprès des dévots un succès qui ne peut se soutenir; il n'en fallut pas davantage pour donner à M. l'abbé de La Mennais l'idée d'une opération lucra- tive, en le déterminant à publier aussi sous son propre nom une traduction prétendue nouvelle de l'Imitation de J.-C., c'est ce qu'il a exécuté, en 1824. Son premier soin a été de reprendre les réflexions qu'il avait prêtées à. M. Genoude. Il s'est contenté ensuite de faire de nou- velles corrections à la traduction du P. Lallemant.
Le Mémorial catholique et le Journal des Débats, dans deux articles communiqués , ont fait de pompeux éloges de la traduction publiée sous le nom de M. de La Mennais; mais deux excellens articles de la Semaine , journal dont les amis des lettres regrettent l'interruption, ont prouvé i° que les nouvelles corrections étaient plus mauvaises que celles de M. Genoude ; i° que les ré- flexions de M. de La Mennais sont au moins inutiles , auprès de celle du pieux auteur de X Imitation, cela n'empêchera peut-être pas les dames de la baute société d'acheter, comme un chef-d'œuvre, la prétendue tra- duction de M. l'abbé de La Mennais. Au milieu de ces tentatives inspirées par la vanité et soutenues par l'ap- pât du gain, M. Gence a pris le seul parti convenable à un homme qui ne s'occupe que de la recherche de la vérité. En publiant le texte latin de X Imitation de J. C, revu sur les manuscrits et sur les meilleures éditions avec des notes et des variantes, il met les savans à même de juger combien sa traduction de V Imitation l'emporte sur les traductions vulgaires. MM. Treuttel et Wùrtz se sont chargés de cette impression qui est terminée. Ce volume in-8° mérite, par la beauté de son exécution
DE L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST. 9
fpographique, d'être placé à la suite de la précieuse ollection des classiques latins de M. Lemaire.
On peut se rappeler que, vers le milieu du siècle der- ier, le libraire Barbou enrichit d'une imitation latine t d'une imitation française sa belle collection d'auteurs itins; les amateurs lui en surent gré. C'est par oubli ins doute que M. Lemaire n'a point compris un aussi scellent ouvrage dans sa collection. Cette omission se ouve avantageusement réparée par M. Gence.
« Barbier,
ancien administrateur des Bibliothèques particulières du Roi.
DISCOURS DE M. GALLATIN ,
ANCIEN AMBASSADEUR DES ÉTATS-UNIS EN FRANCE ,
AU NOM DES HABITAIS DU COMTÉ LAFAYETTE.
OBSERVATION.
Jusqu'à présent, nous n'avons parlé du voyage de /. le général Lafayette aux Etats-Unis de l 'Amérique u nord, qu'à l'occasion des écrits dont ce grand événe- lentaété le sujet. (V. Rev. Enc, t. xxvi, p. 535 et 888 et .xxvnr, p. s»45.) Dans un fait aussi extraordinaire, dont ;s annales des nations n'offraient aucun exemple, l'as- ect imposant de l'ensemble donne de l'importance aux étails. Mais, tandis que le spectacle d'une nation re- onnaissante inspire des pensées si hautes, si géné- euses, si pleines d'espérances pour tout le genre hu-
io DISCOURS DE M. GALLATIN
main, notre Revue ne doit présenter que les résultats, sans arrêter l'attention de ses lecteurs sur des objets d'un intérêt purement local. Le discours qu'on va lire est, à plusieurs égards, V histoire abrégée du voyage du général Lafayette (i) : il a, de plus, le mérite de faire partie de cette histoire , d'exprimer les pensées d'un illustre Américain, cher à la France où il a laissé les plus hono- rables souvenirs, de retracer en quelques lignes les bienfaits les plus importans de la révolution française;
(i) Un jeune Français, qui a eu le bonheur d'être associé au voyage du général Lafayette, se propose d'en publier une relation détaillée, qui sera comme un monument destiné à consacrer le souvenir de cette époque historique, où le caractère de tout un peuple et sa reconnaissance envers l'un des principaux fondateurs de sa liberté se sont manifestés d'une manière si solennelle et si honorable. — Une autre relation du même voyage doit être publiée incessamment aux Etats-Unis par un Américain. Celui-ci, en traçant le fidèle tableau du grand spectacle dont il vient d'être témoin , saisira sans doute l'oc- casion de passer rapidement en revue tous les Etats de la fédération américaine du Nord, rapprochés et comparés sous les divers rapports qui caractérisent leur civilisation plus ou moins avancée. Les résul- tats de ses observations et la masse des faits qu'il a pu recueillir per- mettront à ses lecteurs de saisir et d'apprécier les véritables causes et les élémens de la prospérité agricole, industrielle, commerciale, toujours croissante, et de l'activité scientifique, intellectuelle et mo- rale, qui sont propres à chacun de ces Etats ; ils remarqueront sur- tout cette direction de l'esprit public, qui leur est: commune à tous, cette unanimité imposante de sentiment patiiotiques , de vues d'a- mélioration , de volontés invariables pour la conservation de l'indé- pendance, pour la garantie des droits publics et privés, pour la propagation des lumières , qui fait une seule et même famille de toutes ces petites républiques, éparses sur une immense étendue de territoire, et assez heureuses poiir réunir à la force protectrice d'un gouvernement central, respectable .m dehors, Les avantages précieux d'administrations locales qui exercent une influence toujours bien* faisante, sans apporter jamais aucune entrave, ni à l'action de la pensée, ni à celle de la presse, ni au libre développement de l'in- dustrie. M. A J.
AU NOM DU COMTE LAFAYETTË. H
ie rapprocher enfin, dans un tableau rapide, l'état ctuel de l'Amérique et celui de l'Europe ; c'est par ces notifs qu'il nous a paru tout-à-fait convenable de l'in- érer dans notre recueil. Mais, quelle est cette nation [ui fait à son hôte un accueil que la pompe du monar- [ue le plus puissant ne saurait égaler ? Sa population l'est guère que le tiers de celle de la France ; et cepen- lant, son pavillon est respecté sur toutes les mers : son lliance, recherchée avec empressement, est toujours nagnanime et protectrice \ ses progrès dans les sciences, lans les lettres et les arts étonnent l'ancien monde, in- [uiètent les fauteurs du despotisme, peu rassurés par interposition de l'Océan contre la puissance toujours roissante d'un peuple libre, éclairé, dont l'immense erritoire se couvre rapidement de cultures, de villes, t d'une population heureuse, où l'instruction a péné- ré partout, où le travail est équitablement rétribué , xempt d'entraves, et surtout honoré. Ce peuple prés- ent ses glorieuses destinées , et c'est par des actes d'une aute sagesse qu'il s'y prépare. L'influence morale que îoivent exercer, même en Europe, les chants dallé- resse des Américains, à la vue de l'un des guerriers uxquels ils sont redevables de leur indépendance, sera ans doute favorable à la cause des Hellènes chez les- uels d'honorables étrangers (i), associés volontairement
(i) Nous aimons à rappeler ici le généreux dévouement de l'îl- îstre Anglais lord Byron, qui dévoua sa fortune , sa lyre et sa vie à \ Grèce; du jeune Italien Santa-Rosa , qui avait adopté la même atrie , et qui est mort glorieusement pour sa défense; et de notre ompatriote, le colonel Fabvier , qui, consacrant son épée et son lient éprouvé dans l'art de la guerre à la sainte cause des Hellènes, »t, au milieu de cette nation héroïque , le digne représentant de lu rance.
12 DISCOURS DE M. GALLA.TIN
a leurs périls et à leur gloire, imitent le noble exemple
qui leur fut donné, en Amérique, par Lafayette et
par Kosciuszko.
M.- A. Jullien , de Paris.
Général Lafayette, les citoyens de ce comté désirent, en ce moment où vous arrivez au milieu d'eux, vous témoigner leur joie, leur amour, leur reconnaissance. Ces sentimens, vous les avez entendu répéter en mille endroits et par des milliers de voix; et quel langage pourrait être aussi éloquent que celui de cette multitude qui partout se précipite sur vos pas pour vous recevoir? Acceptez ces effusions sincères et spontanées de l'affection d'un peuple libre, à la fois pénétré de respect pour votre caractère et de reconnaissance pour vos services.
Est-il nécessaire de parler de ces services? ils sont gravés dans le cœur de tous les Américains. Lequel parmi eux peut avoir oublié que le général Lafayette, dans la fleur de la jeunesse, a abandonné pour la cause de X Amérique les avan- tages de la naissance et du rang, les plaisirs, la splendeur d'une cour brillante, et, ce qui lui était, bien plus précieux, les douceurs du bonheur domestique et de l'amour conjugal? Qui ne se souvient qu'il vint secourir X Amérique , à l'époque la plus critique de la lutte pour l'indépendance ; qu'il com- battit et versa son sang pour elle ; qu'il obtint l'amitié, la con- fiance de Washington, l'amour de tous ceux qui combattirent avec lui, ou qui l'approchèrent; qu'il eut une grande part dans le dernier triomphe décisif de Yorklown? Mais ses ser- vices ne se bornaient pas à combattre sur le champ de bataille. Tandis qu'il supportait les fatigues et bravait les dangers de toutes les campagnes, presque chaque hiver, il traversait l'Océan pour encourager nos amis et obtenir des secours de notre illustre et malheureux allié, altérait sa fortune particu- lière pour fournira nos besoins, sans recevoir aucune com- m»nsation des Etats-Unis ; tous ces services furent rendus avec un parfait désintércssemenl.
AU NOM DU COMTÉ LAFAYJETTE. i3
Le nom que porte ce comté, fut un des premiers tén.oi- nages de la reconnaissance publique. Tandis qu'il nous rap- elle perpétuellement vos vertus et nos obligations, il semble ous donner le droit de porter un intérêt particulier à ce qui ous concerne. Que ce soit mon excuse, si, au risque de bles- er votre modestie, je vous retiens quelques minutes de plus [u'il n'est d'usage de le faire pour les réceptions ordinaires.
Lors de la première assemblée des notables , ce fut sur votre notion que le rapport d'un de ses bureaux réclama la restitu- ion des droits civils des protestans français ; et ce décret qui , l'après cette demande, fut rendu en leur faveur, précéda l'une année la révolution française.
Au moment de ce dernier événement, quoique vous appar- inssiez à une famille distinguée dans la classe privilégiée, vous parûtes aussitôt un des plus zélés et des plus habiles défen- deurs du peuple. La part que vous avez prise dans toutes les ]ueslions agitées à cette époque est connue de tout le monde; mais, par une erreur assez répandue ( au moyen des menson- ges et des calomnies qu'a propagés l'esprit de parti ), beaucoup àe personnes sont portées à croire que la France n'a recueilli d'autres résultats de sa révolution que la misère et le carnage, et qu'à la suite des scènes sanglantes que la violence des partis a produites, aucun profit matériel n'a été obtenu pour la na- tion. Si cependant nous voulons considérer attentivement la grandeur des obstacles qu'il a fallu surmonter, et si nous com- parons ce qu'était la France , à l'époque de notre révolution , avec son état actuel, nous aurons moins à nous étonner de ce qu'elle n'a pas effectué de plus grands changemens, qu'à nous affliger de ce qu'ils ont été si chèrement achetés.
Un code pénal y imparfait encore dans ses détails, mais par a nature de ses punitions, aussi doux que le nôtre, a été Isubstitué aux règlemens sanguinaires d'un siècle barbare. Un code civil uniforme a remplacé des coutumes surannées et con- tradictoires. L'établissement du jury dans les causes crimi- nelles, la publicité des procès dans toutes les affaires; l'adoption du principe du gouvernement représentatif et du vote annuel
i4 DISCOURS DE M. GALLATIN
de l'impôt ; la liberté personnelle plus respectée, la liberté t la presse augmentée, la liberté des consciences établie ; Valu lition des privilèges des individus, des classes, des corpor; tions, des provinces, et un peuple de vassaux affranchis < toute obligation féodale : tous ces objets forment une mas d'améliorations , un changement radical dans la politique infc rieure de la France, plus considérable qu'il ne s'est jama opéré dans un si court espace de tems; car presque tous, ce n'est même tous ces avantages ont été obtenus, dans li trois premières années de la révolution, durant cette cour période, la seule où vous avez exercé une influence , et ur puissante influence sur les affaires publiques en France.
Non, monsieur, vous n'avez pas vécu en vain, non pli pour la France que pour l'Amérique. Le fondement est post et la vie des Tintions ne se calcule pas par années , mais pc générations. Il ne nous appartient point de prononcer sur U améliorations dont la France peut éprouver le besoin, su celles qui conviennent à son état actuel. Nous ne pouvons qu demander au ciel qu'elle puisse les acquérir, non par la vio lence, mais par une douce persuasion ; qu'elles soient le résul tat d'une confiance mutuelle heureusement rétablie, et no celui de nouvelles convulsions et de scènes sanglantes!
Tl n'a pas dépendu de tous que telle ait été la fin paisibl et prompte delà révolution française. Instruit, permettez-m< l'expression, instruit à l'école d'une liberté raisonnable soi les illustres fondateurs de cette république, vous ne fûtes p; un défenseur plus énergique de la cause de la liberté dans sein de l'assemblée, que zélé dans le commandement de garde nationale, pour conserver l'ordre, réprimer les excè prévenir les crimes, et éviter l'effusion du sang. Vous av< toujours été le refuge, souvent le protecteur de l'innocence du malheur; et, lorsque vos efforts ont été infructueux poi les défendre OU pour les faire respecter, c'est que l'obstacle trouvait au-dessus de toute puissance humaine.
Lorsque la constitution que vous et vos collègues éclair aviez jugé la pin.-, propre à assurer les libertés et à proenn
AU NOM DU COMTÉ LAFAYETTE. i5
e bonheur de la France ; lorsque cette constitution que vous ivicz juré de soutenir et que des forces étrangères menaçaient n vain, fut attaquée à l'intérieur par des furieux , vous pré- îtes avec un esprit prophétique les désastres qui devaient uivre. Fidèle à vos sermens, fidèle au peuple, indifférent ur les formes, négligeant totalement toute considération pér- onnelle, vous montâtes à la brèche, et dans cette circon- tance mémorable, vous fîtes à la cause du peuple le sacrifice e votre popularité, vous à qui l'approbation et l'amour du euple ont toujours paru la seule récompense de ce monde , ligne d'être recherchée.
La suite est bien connue : pour avoir tenté de sauver la latrie, vous fûtes proscrit, dépouillé de l'héritage de vos lères , comme ennemi de la patrie. Ce n'était pas chez l'étran- ;er que vous pouviez attendre la récompense de vos services lans ia cause de la liberté française : le patriote proscrit ne rouva pour asile qu'une prison ; enfermé pendant des an- lées, des fers ont pu lier vos membres; votre âme ne fut amais abattue ; elle conserva toute son énergie et demeura ibre.
Votre proscription fut le signal de tous les maux qui vin- ent désoler votre pays. Je ne m'étendrai point sur ces scènes léplorables. La liberté abandonne une terre souillée de crimes ommis en son nom sacré. Car, si le premier des biens doit tre conquis par le courage, la vertu et la sagesse peuvent eules le conserver.
Lorsque, plusieurs années après, vous fûtes rendu à votre >atrie, vous la trouvâtes entre les mains de cet homme extra- >rdinaire, auquel il fut donné de régler durant un tems le sort les Français et celui de l'Europe. La France était plongée dans in océan de gloire ; mais elle n'était plus libre. Vous vous ;tes réjoui des succès obtenus sur ses ennemis étrangers ; vous ivez admiré tout ce qui était grand, approuvé tout ce qui itait bon; mais vous avez refusé de partager les honneurs, les lignités, les faveurs du nouveau gouvernement. Le droit de iuffrage était restreint à un petit nombre d'électeurs nommés
iG DISCOURS DE M. GALLATIN
par le pouvoir executif: la législature était muette ; la Liberté individuelle non assurée, celle de la presse détruite, tous les pouvoirs concentrés dans un seul homme. Vous vous êtes retiré dans une honorable retraite, entouré d'une famille chérie; et, pendant près de quatorze ans, vous fûtes le modèle de toutes les vertus privées, comme vous l'aviez été de toutes les vertus civiques. Les avantages de l'ambition n'ont jamais été le but de vos désirs. Dans la simplicité de votre cœur, vous n'imaginiez même pas faire un sacrifice ; mais il en restait un plus pénible à faire à vos principes.
Votre fils unique, le digne héritier de votre nom et de vos vertus , celui que nous nous réjouissons de voir auprès de vous, combattait sous les bannières de l'empereur ( elles étaient celles de la France). Il ne pouvait que suivre vos exemples; il se distingua donc d'une manière remarquable; une promotion rapide paraissait devoir l'attendre; une carrière de gloire et d'honneurs semblait ouverte devant lui ; il portait votre nom. Cette carrière fut tout d'un coup arrêtée; cette brillante pers- pective fut fermée pour toujours; et vous, le plus tendre dés pères, vous avez fait ce dernier sacrifice , plutôt que de don- ner la puissante sanction de votre nom au système destructeur de cette cause à laquelle votre nom était dévoué.
Cependant; le colosse tombe; et, tandis que ses flatteur? le trahissaient ou l'abandonnaient, vous qui lui aviez résiste lorsqu'il était au faîte du pouvoir, vous vous rappelâtes seule- ment alors que vous dûtes à ses premières victoires d'êtn délivré des prisons d'Otmutz, et vous fûtes un des premier* à proposer des moyens de salut qu'on chercha alors à lui pro eurer,et qui peut-être, sans un étrange aveuglement de sa part et la honteuse perfidie de faux amis , eussent pu le préserve! du triste sort qui l'attendait.
Lorsque ensuite les libres suffrages de vos concitoyens von rappelèrent sur ie théâtre des affaires publiques, personne n< cloute du rôle que vous étiez destiné à remplir. Des esprit vulgaires peuvenl se souvenir d'anciennes persécutions, o même de l'indifférence dont ils ont été l'objet. Mais, tant qu
AU NOM DU COMTÉ LAFAYETTE. ' 17
votre cœur continuera débattre, vous paraîtrez toujours le défenseur des droits du peuple. Cependant, l'âge a pu calmer votre ardeur, le découragement diminuer vos espérances ; mais, quand le vétéran de la cause de la liberté dans les deux hémisphères, après avoir combattu , versé son sang, souffert les chaînes de la proscription pour cette cause sacrée, repa- raît de nouveau pour la défendre; c'est avec une nouvelle vigueur, avec toute l'énergie, la pureté, la fraîcheur de la jeunesse.
Telle est la faible esquisse d'une vie exclusivement consa- crée au service de l'humanité, qui, durant cinquante années d'activité, n'a été souillée par aucun vice, défigurée par au- cun acte d'inconstance. . . Après tant de travaux, de rudes épreuves, d'injustes persécutions, d'afflictions particulières, il a plu à la divine providence de vous accorder, à la fin de vos jours, la récompense la plus douce pour votre âme.
Vous avez laissé, monsieur, l'Amérique commençant sa nouvelle existence, souffrant encore de tous les maux qui avaient accompagné la lutte révolutionnaire, sans commerce, sans richesse, sans crédit, sans avoir encore éprouvé l'in- fluence d'un gouvernement central. Après un espace de qua- rante années, il vous est donné de visiter ses rivages. Vous la retrouvez déjà dans toute la force de sa maturité, soutenant un rang distingué parmi les nations, l'asile des opprimés de tous les pays, comme de tous les partis; ayant atteint un degré de prospérité dont on ne voit aucun exemple, durant une si courte période, dans les annales du monde. Ses villages sont devenus des cités populeuses ; ses vaisseaux couvrent les mers ; de nouveaux états se sont élevés comme par magie du milieu des déserts; ses progrès dans les manufactures et les arts, et depuis peu, dans les sciences et dans la littérature, ont mar- ché d'un pas égal avec ceux de sa richesse territoriale et d'une population triplée. On nous avait menacés de l'infailli- ble dissolution de l'union, et l'on a vu treize états résigner volontairement une portion de leur souveraineté , afin d'in- t. xxx. — Avril 1826. 1
18 DISCOURS DE M. GALLATIN
vestir le gouvernement central des pouvoirs nécessaires à la défense commune; acte de sagesse et de patriotisme, nouveau dans l'histoire des peuples.
La tranquillité d'une longue paix n'a point énervé les Amé- ricains. La génération actuelle s'est montrée digne de celle qui l'a précédée, de vos compagnons d'armes ; vous allez, en par- tant d'ici, vous rendre à Bunkershiil , afin d'ériger un monu- ment sur le terrain même où les Anglais apprirent, pour la première fois, quelle résistance ils devaient attendre d'un peuple qui voulait être libre, et vous arrivez de la Nouvelle- Orléans, théâtre de cette extraordinaire et complète victoire qui n'a pas été surpassée dans ce siècle de prodiges militaires. Elle fut remportée sur des ennemis supérieurs en nombre par une bande de soldats citoyens que conduisait un héros sorti de leurs rangs, et l'ouvrage du peuple. A la même époque, un cultivateur de Pensylvanie soutenait l'honneur des armes amé- ricaines sur notre frontière septentrionale, et notre intrépide marine, malgré une infériorité de forces plus grande encore, montrait au monde que la reine des mers n'est pas invincible même sur son élément.
Mais, ce qui surtout vous procure la plus haute satisfaction, c'est la pensée que cette prospérité, ce bonheur dont nous jouissons, sont le résultat de nos libres institutions ; elles ont placé hors de toute atteinte les droits imprescriptibles de l'homme, assuré à chaque individu la liberté de conscience, celle d'exprimer ou de publier ses opinions, l'exercice non restreint de ses facultés personnelles; elles ont borné l'action du gouvernement à ses objets légitimes; la protection des par- ticuliers contre la passion et la cupidité ; celle de la confédé- ration contre l'agression étrangère. Les différentes branches de l'administration out été investies seulement du pouvoir né- eessaire pour atteindre ce but. C'est ici, ici proprement, le règne de la loi. Le gouvernement représentatif est établi dans sa forme la plus simple, fondé sur le suffrage universel et soi de fréquentes élections. Le résultat de ce système est exposé aux regards du monde; il n'est su; venu aucun des
AU NOM DU COMTÉ LAFAYETTE. 19
inconvéniens que l'on supposait inséparables d'un gouverne- ment populaire.
La religion a conservé sa bienfaisante influence , au milieu d'une liberté universelle de conscience et de culte , et quoique la liaison impie entre l'église et l'état ait été complètement dissoute. La tranquillité publique n'a pas été altérée, quoique la liberté individuelle soit si respectée dans la pratique et dans le droit que Yhabeas corpus n'a pas une seule fois été suspendu. La liberté de la presse illimitée, loin d'ébranler le gouvernement, n'a pas un moment diminué sa force, ni en- travé sa marche. Le suffrage universel a été attesté par des choix généralement populaires; des élections fréquentes et multipliées n'ont jamais été accompagnées de la plus légère commotion ; et même , lorsqu'il s'est agi des plus hautes char- ges, quoiqu'elles aient été poursuivies avec l'énergie qui con- vient à des hommes libres, que les publications de la presse aient continuellement enflammé les esprits, la décision consti- tutionnelle a été reçue avec une soumission immédiate.
Tous les pouvoirs émanent ici du peuple, et tout se rap- porte à lui. Nous reconnaissons avec orgueil que nos délégués n'ont jamais abusé de la portion d'autorité qui leur était con- fiée. Dans nos relations avec l'étranger, tandis que le gouver- nement se montrait prêt à soutenir nos droits, quelle nation a pu se croire outragée par les États-Unis ? Et dans notre administration intérieure, tandis que les lois étaient exécutées avec impartialité, peut-on citer, dans un espace de quarante années, un seul citoyen persécuté ou opprimé?
Le succès complet de cet important essai, tenté dans cette contrée sur la plus grande échelle; cette preuve vivante que les hommes peuvent se gouverner eux-mêmes, magnifique exemple donné par les États-Unis, n'a pas été perdu pour le reste du monde. Des événemens que nous pouvions prévoir, mais que nous croyons devoir appartenir à la postérité, ont eu lieu de notre tcms.
Une année avant le jour où vous avez débarqué sur ce sol pour joindre l'étendard américain , il n'existait pas sur ce vaste
ft0 DISCOURS DE M. GALLATIN
continent un seul homme (si ce n'est le .sauvage indien) qui ne reconnût la suprématie d'une puissance européenne; et à présent, dans un espace moins long que la courte duré** de la vie active de l'homme, il n'existe pas, depuis le cap Horn jusqu'aux sources du Mississipin une seule province qui n'ait secoué le joug étranger. L'histoire conservera la mémoire des sacrifices immenses, des actes d'héroïsme et de dévouement, de la persévérance inaltérable qui ont produit de si grands résultats. Notre gouvernement, fidèle à ses principes, n'a ni excité , ni encouragé les insurrections; mais, en reconnaissant le premier l'indépendance de l'Amérique du sud , et en décla- rant qu'il ne verrait pas avec indifférence d'autres nations agir hostilement dans cette querelle, il a rempli un devoir que la politique et la position morale des État-Unis lui pres- crivaient.
Un nouvel esprit s'est introduit, il anime le monde civilisé; il donne à tous les hommes, jusqu'au plus obscur, au plus opprimé, le sentiment de ses droits, la volonté de les recou- vrer; il fait chaque jour de nouveaux prosélytes, même dans les rangs privilégiés et jusque sur les marches du trône. Les efforts de quelques hommes (qui n'ont rien appris, ni rien oublié), qui rêvent et qui ne peuvent plus espérer, l'empor- teront-ils? leur sera-t-il permis d'arrêter la lumière dans ses progrès et de faire rétrograder l'esprit humain ? Les planètes aussi semblent quelquefois aux regards de l'homme avoir un mouvement rétrograde ; mais elles poursuivent leur course immuablement assurée, conforme aux lois de la nature, à la première impulsion donnée par le Créateur : ainsi, dans le inonde moral, peuples, nobles, hommes d'état, monarques, tous sontà présent entraînés par le mouvement irrésistible de l'opinion publique, et des progrès toujours croissans des con- naissances humaines.
Voulez-vous une preuve sans réplique de cette influence toute-puissante? Le ministère britannique est exclusivement composé d'hommes qui ( il y a dix ans ) étaient opposés à toutes révolutions, tremblaient à la simple apparence d'une légère
AU NOM DU COMTÉ LAFAYETTE. ai
innovation : il vient, en moins d'une année, de réformer une jurisprudence antique et obscure, de détruire le système de monopole dans les colonies anglaises. Il reconnaît l'indépen- dance de /' 'Amérique du sud ; il favorise, du moins, s'il n'assiste pas encore les Grecs; et, si nous ne sommes point mal in- formés, il est au moment d'émanciper l'Irlande , cette nation amie de l'Amérique et depuis si long-tems opprimée..
La flamme de la liberté s'est étendue, depuis les Andes péruviennes, à la limite occidentale du monde civilisé, jusqu'à son autre extrémité vers Y Est. La Grèce, le berceau de la civilisation européenne, et de la nôtre; la Grèce, cette terre classique de la liberté, gémissait depuis des siècles sous le joug le plus intolérable ; on croyait ses fils entièrement avilis par l'esclavage , dégénérés, perdus sans espoir de salut : leur nom était devenu un mot de reproche; eux-mêmes, un objet de mépris plus que de pitié. Subitement ils se réveillent de leur léthargie, volent aux armes, brisent leurs chaînes ; ils ne reçoivent aucun secours étranger. Les puissances chrétiennes les regardent avec malveillance; ils sont environnés par d'in- nombrables dangers et d'innombrables ennemis : ils ne de- mandent pas combien ils sont, mais où les joindre chaque année. Presque sans marine, ils détruisent des flottes formi- dables; chaque année, sans armées disciplinées, ils dispersent d'innombrables ennemis ; chaque année, ils étonnent le monde, conquièrent, malgré lui, sa sympathie par des actions dignes des trophées de Salamine et de Marathon, par des exploits que l'amour de la liberté peut seul produire, par des prodiges qui nous paraîtraient fabuleux , s'ils n'arrivaient pas de notre tems et sous nos yeux.
D'où vient cette régénération et ses effets surprenaus ? des progrès des connaissances, de la supériorité de l'intelligence sur une force brutale. Les Grecs avaient conservé leur langue immortelle, le souvenir de leurs ancêtres, leur religion, un caractère national. Quelques particuliers patriotes avaient, depuis cinquante ans, fondé des écoles, établi des presses, employé tous les moyens de renouveler ou d'étendre l'instnic-
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tion. Leurs stupidcs oppresseurs r.e pouvaient apercevoir, ni craindre des progrès à peine remarqués en Europe. Mais la semence ne tomba pas sur un sol stérile, et le cimeterre a été moins funeste pour l'espèce humaine, que l'inquisition espagnole.
La cause n'est pas encore gagnée; une résistance presque miraculeuse peut encore être subjuguée par l'effrayante su- périorité du nombre, et le monde civilisé, le monde chré- tien ( ces deux mots sont synonymes ) , considérera-t-il tou- jours, avec une immobile apathie, l'effrayante catastrophe qui peut suivre ? Une catastrophe qu'il pourrait, que nous-mêmes seuls pourrions empêcher avec tant de facilité, et presque sans danger. Mais, je suis entraîné au delà de ce que je vou- lais dire. Cela est dû à votre présence. Ne sais-je pas que partout où l'homme qui combat pour la liberté, ou pour l'existence, est le plus en danger, c'est là où se trouve votre cœur.
Je puis hardiment demander quel homme existant a pris une plus grande part que Lafayette à l'établissement, à la pro- pagation et à la défense des principes qui ont produit de si grands et de si glorieux résultats; et parmi les vivans et les morts, il a été accordé jusqu'ici à lui seul déjouer un rôle également brillant sur les deux principaux théâtres de la grande lutte, l'Amérique et la France. Peul-on, après cela, s'étonner si vous êtes reçu par un peuple libre et éclairé avec un enthousiasme qui n'a pas encore été égalé ? Nous parta- geons entièrement le sentiment national ; nous saluons en vous l'un des héros survivans de la révolution; l'énergique défen- seur de la cause de l'humanité; le rare modèle d'une parfaite constance. Heureux d'avoir été dans cette occasion l'organe de mes concitoyens, mes sentimens particuliers sont faciles h juger, puisque relui auquel je m'adresse est eu même tems ni; ami personnel, sincère et long-tcms éprouvé.
NOTICE
Sur la Vie et les Ouvrages de Claude -L. BERTHOLLET.
N. B. La mémoire de M. le comte Bertholjlet n'a point reçu encore, dans notre Revue, l'hommage que l'on doit au savant illustre, au citoyen, au philantrope, dontla vie fut un modèle de vertus publiques et privées. L'un de nos collaborateurs, M. Jomard, de V Institut > ami et disciple du grand chimiste, nous a fourni le moyen d'acquitter notre dette envers nos lecteurs : la Notice qu'on va lire a été rédigée en partie d'après colle qui est insérée dans la dernière livraison de la Descrip- tion de l'Egypte , et que son étendue ne nous a point permis de publier, telle que l'auteur l'a composée pour cet ouvrage(i). Nous y joignons un portrait, réduit d'a- près celui que la Commission des monumens d'Egypte a fait graver. Le tableau original est l'ouvrage d'un peintre américain qui avait" été envoyé exprès des États-Unis pour faire le portrait de Berthollet, l'un des hommes qui ont le plus honoré les sciences et l'humanité.
Claude Louis Berthollet naquit à Talloire, près d'Annecy en Savoie, le 9 décembre 1748. An sortir du collège de Turin , il étudia la médecine à l'université de la même ville, et fut reçu docteur, en 1768. Quatre ans après, il vint à Paris, pour étendre ses connaissances, et s'essayer sur un plus grand théâtre. Il y continua ses études de médecine; mais la chimie le réclamait : un concours heureux de circonstances le rendit possesseur d'un laboratoire, et le mit en relation avec Lavoi- sier. Plein des doctrines de ses premiers maîtres (Macquer et Bucquet ) , il n'y renonça que lentement : ses premières dé-
(0 27 pages in-folio, dont 12 de notes avec la liste des ouvrages de Berthollet.
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couvertes, annoncées par les journaux, en 1776, et ses mé- moires présentés à l'Académie, eu 1777 , rappellent encore la théorie du phlogistique. Mais ses expériences lui révèlent de jour en jour des faits nouveaux; Lavoisier, l'un des princi- paux fondateurs de la chimie moderne, étudie ces faits; il en sent l'importance; et la diversité des doctrines chimiques ne l'empêche point de rendre justice à Berthollet : il pressentait ce que le jeune chimiste ferait un jour pour la science qu'ils cultivaient l'un et l'autre avec tant de succès. En rendant compte de l'un des mémoires les plus remarquables adressés par Berthollet à l'Académie , en 1778, Lavoisier annonça que l'on touchait à l'époque d'une révolution heureuse qui ne man- querait pas d'avoir une grande influence sur la chimie. Cette même année, 1778, commença le bonheur domestique de Ber- thollet : il fit choix d'une compagne digne de lui.
En 1780, Berthollet devint le successeur de Bucquet , ù l'Académie des sciences. Il y avait alors un directeur des tein- tures^ emploi confié à Macqucr; à la mort de cet académicien , en 1784, Berthollet le remplaça; ce qui fut l'origine de l'un des ouvrages les plus estimés sur l'application de la chimie aux arts, les Élêmens de la teinture. On n'a pas assez remarqué les vues de l'auteur et l'effet de ses préceptes ; la publication de son livre est l'époque d'une révolution intellectuelle, non- seulement dans les arts chimiques, mais dans toutes les indus- tries. C'est depuis ce tems que l'on veut se rendre compte de ce que l'on fait, que l'esprit d'observation et de mesure préside aux travaux dirigés autrefois par la routine; et que tant de perfectionnemens ont été introduits dans les ateliers.
Les expériences sur la composition de l'eau , faites en même tems en France et en Angleterre, avaient converti Berthollet; guidé par les nouvelles théories, il reprit ses expériences sur l'ammoniaque dont il n'avait pu jusqu'alors découvrir la corn - position. Celte fois, la nature ne put voiler ses opérations; le secret lui fut arraché; et, tandis que ( ;i\ endish , à Londres, révélait au monde savanl les éléniens du gaz niheux, le chi- miste fiançais offrait en échange au chimiste anglais la con- naissance des principes de l'ammoniaque. Celte découverte
SUR BERTHOLLET. * 5
l'était pas isolée ; elle se présentait accompagnée de celles de 'azote comme base essentielle des substances animales ; de la :ause de l'épaississement et de la décoloration des huiles com- binées avec l'oxigène : de nouvelles recherches sur la nature les substances animales firent connaître les analogies qui les •approchent des matières végétales, et les différences qui les m distinguent.
Parmi les services que Berthollet a rendus à l'art de la tein- ure et à l'économie manufacturière et domestique , il faut mèt- re au premier rang le procédé du blanchiment des toiles par e chlore. On sait que ce procédé est beaucoup plus prompt, )lus efficace et moins cher que l'ancienne méthode ; qu'on l'ap- )lique à toutes les matières colorées par des substances végé- ales ; qu'il enlève complètement les taches d'encre commune, ians altérer le tissu des étoffes; qu'il restitue aux estampes et m papier leur éclat primitif, etc. Toute l'Europe admira celte lécouverte , qui fit naître, en peu de lems, des manufactures lorissantes; et notre savant désintéressé ne voulut accepter de ;eux qu'il avait enrichis qu'un ballot de toiles blanchies par ion procédé.
L'étude des propriétés du chlore, nommé alors acide mu- ïatique suroxigéné , avait décidé notre savant chimiste à re- loncer entièrement à la doctrine du phlogistique. Un mémoire, ju'il publia en 1785, porta le dernier coup à cet échafaudage l'aneiennes explications des faits chimiques. L'année suivante , m autre mémoire , rédigé de concert avec Monge et Vander- uonde, exposa la théorie du fer et de ses diverses modifica- ions (1). Toujours occupé de cet important objet, Bertholle publia, en 1789, une théorie spéciale de l'acier.
(1) L'inflexible vérité historique nous oblige à révéler ici un fait lont aucun imprimé n'a conservé la preuve, et dont il ne reste qu'un rès-petit nombre de témoins. La théorie du fer et de ses combinai - >ons avec le carbone, le verre, etc. , fut faite à Mézières par Cjlouet, •t communiquée par cet homme extraordinaire aux savans qui pas- ient pour l'avoir créée. J5ertliollel , Mongc et Vandci momie avaient
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Nous voici au tems où la science parut assez avancée pour que l'on pût lui approprier une langue méthodique et régu- lière, où la composition des mots fut dérivée de la formation des idées, où la nomenclature devînt l'indication de l'analyse des objets dénommés, et réciproquement, où l'analyse offrît un moyen d'assigner aux composés les noms qui leur convien- nent. Lavoisier , Fourcroy , Berthollet et Guyton-Mor- veau se chargèrent de ce grand travail , dans lequel ils furent aidés par M. Prieur ( de la Côte-d'Or ). L'effet de cette inno- vation philosophique surpassa les espérances qu'elle avait fait concevoir; les difficultés de l'étude furent diminuées , les idées devinrent plus claires, la science eut plus d'attraits , et fut cul-